Entre découvertes et partages
- Dominique Hoeltgen
- il y a 12 minutes
- 7 min de lecture

Témoignage
A l’aube de sa retraite, Dominique Sers, ergothérapeute, souhaitait s’investir dans une association. Quatre semaines à GIFT lui ont permis de découvrir les sourires des fillettes et surtout de mener une belle action auprès de nos jeunes en leur enseignant l’art de l’interaction, des échanges, des partages. Voici son récit de cette expérience unique.
J’ai le sentiment d’avoir été, un court moment, une petite pierre apportant ma contribution modeste, et dans le quotidien, à rajouter à ce bel édifice humain.
J’ai été frappée immédiatement par la spontanéité, les sourires, la chaleur, la joie de toutes ces petites filles accueillant quelqu’un de nouveau. Désirant dès le premier jour me faire découvrir leur environnement, leur quotidien. Elles étaient fières de me présenter leurs familles respectives, leur lieu de vie et certains de leurs espaces un peu plus confidentiels et différents pour « me relaxer » (le studio de musique aménagé par un artiste, absent le jour de notre visite), mais où elles étaient comme chez elles, manipulant avec dextérité tous les appareils d’enregistrement et m invitant à les regarder danser et chanter, ce qu’elles faisaient avec grâce et spontanéité, puis m’invitant à faire de même, tout cela dans la gaieté, et dans le souci de mon confort et de mes goûts en termes de musique.
Que leur apporter alors que tout de suite, elles m’apportèrent généreusement et gratuitement une foule de cadeaux, cadeaux de partages, d’échanges et d’amour ?
Devant leur curiosité, leur soif de découvrir de nouveaux horizons liés en ce cas à ma présence, une nouvelle chez elles, j’ai eu envie de leur parler d’environnement hors Bombay. Et ce en m’appuyant sur des cartes géographiques, des photos, des planisphères. Ce supports ont fait l’objet d’échanges riches : les différents climats, habitats, coutumes, structures et organisations familiales, les notions de distances, d’éloignement, de présence, d’absence….
J’avais l’idée de m’appuyer sur cet aspect universel. Faute de temps, je n’ai pas pu. Car en effet, elles ont sollicité ma curiosité pour me parler de leurs religions variées et ayant une place si importante dans leur vie. Nous nous sommes appuyées ensemble sur des histoires mythologiques tirées de livres qu’elles aiment particulièrement, je leur ai fait des lectures, elles m’en ont faites, elles m’ont parlé de tous ces dieux portant des symboles culturels et moraux solides et fiables dans leur imaginaire.
J’ai donc décidé avec elles d’apporter de la couleur, grâce à ces dieux colorés, je pense à Vishnou… à leur imagination si fertile. J’ai eu envie de stimuler leur créativité artistique individuelle en voyant plusieurs d’entre elles me montrer leurs dessins « formatés » de façon stricte et scolaire et tous très semblables.
J’ai tout de suite été frappée et portée par leur étonnement puis par leur facilité à se saisir des consignes « se laisser aller, se laisser guider par leurs goûts, par leurs idées propres ». Parties de simples arabesques colorées, au doigt, à l’éponge, aux pastels, aux crayons, progressivement et pour leur plus grand bonheur, elles ont su créer des œuvres bien personnelles et ô combien belles et artistiques. Elles ont cherché l’approbation étant sans doute souvent guidées par le respect de réalisations plus académiques et manquant pour beaucoup de confiance en elles.
Il en fut de même lors de la réalisation de leurs lettres et dessins respectifs à leur « sponsor », lettres répondant à des exigences de politesse, de gratitude mettant de côté toute réflexion personnelle.
Une fresque de vie collective
J’ai senti assez vite qu’une œuvre collective pouvait être le support des notions d’interactions, d’échanges entre elles, d’écoute les unes envers les autres des autres membres d’un groupe, de respect des idées des autres et mise en place de stratégie pour inclure toute idée et suggestion individuelle et personnelle.
Chacune, pour celles qui étaient demandeuses et elles furent nombreuses, a pu apporter sa contribution selon ses propres capacités et envies propres à la « fresque de vie » pour laquelle elles eurent à discuter, à écouter, à se mettre d’accord quitte à voter… J’ai senti pour plusieurs d’entre elles combien ce type de travail fut valorisant. Crayons, papiers de plusieurs teintes, couleurs, peintures, ciseaux, colles, sujets photocopiés puis colorés choisis par elles ont été saisis pour qu’elles puissent créer un tableau sur le thème de la mythologie hindoue mêlant paysages enneigés, forêts, déserts, animaux de toutes natures et dieux en toutes postures et interactions.

Pas toujours évident de laisser à chacune de l’espace, espace de choix, de parole, son temps nécessaire à chacune aussi, d’individualité au service de la collectivité. Comprendre et aplanir les tensions, laisser s’exprimer les plus introverties, temporiser les conflits, faire accepter par les plus entreprenantes qu’elles laissent de l’espace aux autres, sentir les frustrations, les écouter et essayer de les faire s’exprimer… beaucoup de petites embûches à essayer de régler pour arriver à une satisfaction collective et de groupe… Et cela souvent avec la barrière des langues qui au fil de mon séjour s’amincit, plusieurs petites filles se faisant mes interprètes marathi-anglais pour leurs copines.
J’ai senti également qu’il pouvait être important de travailler sur la temporalité, ces petites filles montrant une avidité et une rapidité dans l’exécution pour passer le plus vite possible à autre chose par crainte de le laisser s’échapper, à d’autres envies tant que le matériel était à leur disposition ( cf bien sûr leur quotidien et leurs manques inhérents à leur conditions de vie si difficiles. )
Temporalité et canalisation de leurs émotions, pour réfléchir aussi, pour interroger, pour s’exprimer. Pour s’écouter, pour écouter l’autre et prendre en compte ses paroles ou ses silences.
Temporalité qui a débouché aussi presque malgré moi à la réalisation d’une seconde œuvre collective ! Face aussi à la richesse de leur imagination et leur besoin de réalisation visible et gratifiante.
Choix collectif de titre d’emplacement pour afficher le fruit de nos œuvres.
Et au final, beaucoup de joie, de fébrilité positive, de chaleur, d’échanges, de fierté pour chacune d’avoir participé à ces « team works »
J’ai également souvent senti pour ces enfants le besoin de se concentrer sur leur corps de l’écouter de le mobiliser pour se faire du bien, pour se reposer pour se détendre. Besoin de se recentrer sur elles-mêmes alors qu’elles sont tant sollicitées dans leur quotidien pour toutes les tâches qui leur incombent déjà entre la maison, la famille, l’école stricte…J’ai beaucoup admiré les séances de yoga prodiguées par la prof bénévole et l’appétence des petites à suivre les exercices. J’aurais voulu si le temps me l’avait permis, prolonger ces séances par de la relaxation, de la détente corporelle, ces fillettes étant souvent si fatiguées déjà par toutes les sollicitations n’incombant pas habituellement à de si jeunes enfants
Elles ont beaucoup apprécié les mandalas que j’avais apporté, s’en saisissant de façon personnelle et apportant concentration et détente en même temps.
Entre parcs et écoles

J’ai eu la chance et la joie également de partager un après-midi au Sanjay Gandhi National Park de Mumbai avec une douzaine de ces fillettes.
A commencer par le trajet en rickshaw, puis à pied, puis en bus, jusqu’aux grottes historiques où vécurent des moines hindous à partir du 3ème siècle après JC. Joie et curiosité d’observer les paysages si différents du slum, de courir dans la nature, de grimper, de découvrir ces grottes nombreuses et gigantesques, ces statues, ces colonnades travaillées, d’admirer du haut des beaux points de vue de Mumbai. Joie de participer à un gouter improvisé fait de fruits, salades et arachides et non de chips bariolées et chimiques…. Tout en admirant, commentant les faits et gestes de singes facétieux et chapardeurs qui peuvent quand même faire un peu peur…
Les petites filles m’ont également invitée à me faire découvrir leur école respective, ce que j’ai accepté avec plaisir. Et nous sommes parties dans le dédale de petites ruelles proprettes et tranquilles, en dehors des grandes artères si bruyantes et stressantes, pour moi en tous cas…. Nous sommes arrivées dans 3 belles écoles dont Saint Francis et une école marathi dont j’ai oublié le nom. Elles ont eu le bonheur et la fierté de me présenter leur principal et des instituteurs. Fierté car le principal s’adressait à elles aussi en les recevant dans son bureau et en offrant bonbon et eau tout comme pour moi… Le Principal de St Francis, homme jeune et ouvert qui était allé en Grande Bretagne, me sollicita pour connaitre mieux GIFT et ses objectifs et sembla désireux de tisser des liens afin de collaborer sur certains objectifs pédagogiques. J’ai visité des classes bondées d’enfants très vivants et visiblement dans le respect de l’apprentissage et du savoir. Dans l’école marathi, j’ai même eu la chance d’écouter un chant pour apprendre l’anglais. Un accent un peu particulier….
J’ai également visité la classe de « tuition » de Schweta, ma filleule et ai rencontré une femme dynamique et très humaine, dans le souci de prodiguer du soutien scolaire individualisé. Des moments individuels et privilégiés avec ma petite filleule et sa famille, nous ont appris à nous connaitre l’une et l’autre.
Au final, cette expérience au Day Care Center a été d’une grande richesse humaine pour moi, et une découverte unique et inoubliable. J’ai été heureuse de tisser des vrais liens, je crois, si rapidement, liens simples et profonds basés sur le respect de l’autre, sur le respect des valeurs humaines.
Et merci à tous les artisans de ce bel objet de plus de 10 ans maintenant et à tous les efforts de chacun d’entre eux pour en faire un lieu d’accueil, digne de ces enfants qui leur permettra de trouver une place dans leur société et ailleurs. En exploitant chaque jour leurs qualités, en leur assurant réconfort et amour. Je pense en particulier à Nikita, Sharda et Shamshad qui accueille les mamans et leur permet de venir coudre au centre. Elles se donnent sans compter pour le quotidien de ces petites filles et font toute mon admiration sachant si bien transmettre les valeurs humaines, de don, de partages et de la vie en société.
Dominique Sers




Commentaires